Voici la seconde et dernière partie de l’interview de Jean-Charles Kraehn réalisée le 29 avril 2010.
Question 12 : Comment est née l'idée de la nouvelle aventure de Gil Saint André ?
Jean-Charles Kraehn : Comme toutes les idées, elle a été difficile à mûrir et a demandé beaucoup de réflexion. Le problème de la série Gil Saint André est que le héros n'est pas un policier, ni un agent secret, mais un simple chef de petite entreprise… A priori, il ne peut pas vivre beaucoup d'aventures par son boulot. C'est vrai qu'après l'histoire de l'enlèvement de sa femme, la suite avec la sœur de Djida en Algérie, je n'avais plus trop d'idées. Voulant rester dans le polar et l'aventure, j’ai pensé que la solution était de le faire changer de milieu, changer de monde et qu’il voyage. C’est ainsi que j'ai pensé à cette histoire sur la haute finance et la grande entreprise. Elle me permet de donner à la série une dimension un petit peu moins franco-française. Chef d’entreprise à Lyon, ça limite les aventures. J'avais aussi envie de sortir du quotidien que les lecteurs connaissent, puisque c’est le leur. Dans une histoire contemporaine, c’est difficile de faire rêver les lecteurs, ou du moins de les dépayser, si tu restes dans une réalité concrète proche de leur quotidien. D’ailleurs, beaucoup de BDs d’aventures contemporaines, quand le héros n’est ni flic, ni espion, ni truand, touchent au fantastique ou à l’ésotérisme. Comme ce n’était pas le sujet pour cette série, il me restait le luxe, les yachts, la jet-set, pour ce qu’ils contiennent de rêve (même à 4 sous) et parce qu’il touchent au pouvoir. Le sexe et le pouvoir, c’est quand même la grande affaire de l’humanité, non ?
Pour l'intrigue, j’ai procédé comme d’habitude, recherche et documentation. De plus je trouvais que cela collait bien à l'actualité. J'ai écrit mon scénario juste avant la crise financière et, sans tomber dans la BD à message, j'ai quand même quelques petites choses à dire sur le sujet. Faire entrer Gil dans ce monde me permettait de l’aborder un petit peu.
Q13 : Sans dévoiler de secret, que peux-tu nous dire sur cette nouvelle aventure de Gil Saint André ?
JCK : L’histoire tourne autour de la prise de pouvoir d'un énorme groupe français, GRH, par un ennemi qui avance évidemment masqué. Ce groupe est fictif bien sûr, mais est calqué sur quelques-uns de ceux encore possédés par une famille. Cela me permet de parler politique et finance, les deux « mamelles » du vrai pouvoir. Dans des temps plus anciens, c’était la religion et la politique qui étaient mêlées. C’est toujours vrai, sauf que la nouvelle religion est l’argent.
Q14 : Le début de l'album se passe en Grèce, as-tu été faire un repérage sur place pour la réalisation de cette partie ?
JCK : Dans les îles Cyclades pour être précis. Avec des amis, nous avions été en vacances en Crète, il y a 2 ou 3 ans (c’est dans le même coin) et j'y avais fait pas mal de photos. Partout où je passe, je fais toujours beaucoup de photos parce que j'aime ça, et aussi parce que cela peut toujours servir. Avec des photos des Cyclades piquées sur internet et dans des magazines et brochures touristiques, j’ai pu ainsi reconstituer l’ambiance et l’atmosphère de ces îles.
Q15 : Avec cet album, Gil vient aussi faire un tour dans le Trégor ? (Note : Région où réside Jean-Charles Kraehn)
JCK : En fait cette famille, propriétaire de ce groupe français au cœur de l'intrigue, est très riche et possède des résidences secondaires un peu partout. Au départ, j'étais parti « basiquement » sur une propriété en Sologne, mais je me suis dis qu’ils pourraient aussi bien avoir une superbe propriété en Bretagne. Ça me permettait de dessiner des ambiances et des paysages que je connais bien, et pour les repérages, c’était très pratique pour moi.
Enfin, pour continuer dans le rêve et le dépaysement, j'aimais bien l'image de personnages faisant du cheval le long de la côté à marée basse. Image typique de la Bretagne, plus "glamour" à dessiner ! Bon, on va me dire, le Trégor ce n'est pas vraiment la mondialisation de la série, mais entre Lyon, Paris, Les Cyclades, le fait que Gil vienne dans le Trégor n'est pas du tout contradictoire, en plus c'est une propriété de luxe, inspirée par le site du château de Costaères (mais pas par le château lui-même), et par la côte vers Buguelès et Plougrescant. (Note : amis lecteurs, n'hésitez pas à venir découvrir ces beaux coins du Trégor, votre album à la main)
Q16 : Il y a donc beaucoup de dessins de l'album basé sur des photos réelles ?
JCK : Oui effectivement, c'est nécessaire pour une BD réaliste. Il y a certains trucs que tu ne peux pas dessiner de mémoire, car ils ont vraiment besoin d'être fidèle à la réalité. Par exemple, pour une voiture classique, disons une 207 ! Tout le monde la visualise très bien, donc quand tu la représentes, tu ne peux pas faire dans l'approximatif, il faut que ta 207 soit reconnaissable sinon le lecteur verra qu’elle est mal dessinée. Si elle n’est pas crédible, ton histoire le sera moins aussi, à cause d’un simple détail.
Q17 : Comme dans tes scénarios, il n'y a pas d'indication de couleurs, comment se passe la mise en couleur par Patricia Jambers ?
JCK : Oui, il n'y a pas d'indications de couleurs, mais plutôt d'ambiance. Logiquement, le dessinateur est en relation avec son coloriste, et lui donne donc ses indications. La logique de réalisation d'une BD est que le dessin soit au service de l'histoire, et la couleur au service du dessin et par voie de conséquence au service de l'histoire. Mais le dessinateur ne va pas entrer dans le détail des couleurs qui restent à l'initiative du coloriste. Il se contentera de donner des informations d'ambiance, ambiance chaude, ambiance froide, fin de journée, début de journée, glauque, triste, gaie, etc…
Q18 : Dans la conception d'un album, entre scénario, recherche graphique, dessin, encrage qu'est-ce qui est le plus plaisant, enrichissant pour toi ?
JCK : J'aime bien toutes les étapes du boulot, sinon je ne les ferai pas. Il n'y a pas vraiment une partie que je préfère. J'aime beaucoup écrire, mais au bout de deux mois d'écriture, il faut que je dessine, sinon je n'en peux plus. Et pareil au bout de plusieurs mois de dessins, j'aime bien me replonger dans le scénario. Toutefois, en y réfléchissant à nouveau, ce qui m'apporte vraiment le plus de plaisir, c'est le scénario. Dans ce travail, il m’arrive pourtant de vraiment galérer. Je peux rester bloquer sur une articulation ou un élément de l'histoire que je ne trouve pas, et y penser en permanence. C'est donc un réel plaisir lorsque que tu trouves le bon truc et qu'ensuite tout s'enchaîne parfaitement. Les émotions sont plus fortes et plus immédiates dans l’écriture que dans le dessin qui a un côté parfois long et fastidieux. Je parle du dessin réaliste bien sûr. Par contre, en dessin, avec la technique, tu t'en sors toujours même quand tu es fatigué, il n'y a pas de réel blocage, et le lecteur ne se rendra pas forcément compte que cela aurait pu être mieux. Enfin, pour le scénario tu es obligé de te documenter et donc d'apprendre de nouvelles choses. Par exemple pour Gil, j'ai dû lire des bouquins et des articles de journaux spécialisés sur la finance, rencontrer des gens qui connaissaient ce monde et le fonctionnement des conseils d'administrations des grands groupes. C'est aussi un réel enrichissement.
Merci à Jean-Charles pour sa disponibilité et sa gentillesse qui nous a permis de tenir à jour, pendant plusieurs mois, une rubrique spéciale lui étant dédiée.
Patricia Jambers en plein travail de mise en couleur sur le Tome 9
Interview de Jean-Charles Kraehn (2nde partie)
lundi 28 juin 2010
Croquis préparatoires pour les cases 5 et 6 de la planche 4 de Gil Saint-André T9
Extraits des encrages du Gil Saint-André T9, avec notre héros dans la ville de Tréguier
Recherche de composition pour la planche 9 de Gil Saint-André T9
Version finale de la planche 9 de Gil Saint-André T9
A l’occasion de la sortie de l’album, les éditions Glénat ont réalisé un Teaser